Celebration – Entretien Avec Pascal Genneret

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Longtemps considéré comme le graal ultime des collectionneurs de folk français, avant l’ère du net et des rééditions, cet opus confidentiel, né d’une soirée arrosée de champagne entre potes de fac, et sorti sur le Kiosque D’Orphée en 1976, méritait qu’on s’y attarde un peu plus. Et c’est au détour de quelques recherches que l’idée de prendre contact avec Pascal Genneret, guitariste et principalement compositeur, a vu le jour. Histoire de se poser un peu, de retracer l’aventure et les années suivantes, baignées de révolution permanente… Une autre époque!

Bonjour Pascal et merci d’avoir accepté de nous accorder un peu de temps. On souhaiterait revenir sur ton parcours, parler évidemment de l’enregistrement du disque de Célébration, et bien plus. Mais commençons par le début. Que fait Pascal Genneret à l’aube des années 70, et comment as tu vécu les événements de Mai 68 dans le microcosme aubois, très gaullien il faut dire ?

En mai 1968 j’ai 11 ans et demi, suis fils unique (donc pas d’influences de grand frère), je vais au collège qui est à une dizaine de bornes et, à la campagne (j’habite le Pays d’Othe, entre Champagne et Bourgogne) ça ne bouge pas beaucoup politiquement ! J’entends en fond les discours « fin de règne » de De Gaulle et la rumeur des « événements », je me ballade dans la nature, seul ou avec les gars de mon âge… Pas de médiathèque, rien de très culturel à l’horizon! J’explore des lieux chargés d’histoire : la forêt où autrefois se dressait un château, le plateau et le marais où se serait déroulée la bataille des Champs catalauniques…
Quant aux programmes scolaires, je les trouve plutôt rébarbatifs sauf l’anglais à cause du lien avec les musiques que j’écoute, l’histoire (Egypte, Babylone, Grèce) et certains auteurs (le génie de Rimbaud, le pittoresque de Villon et Ronsard, l’art descriptif de Chateaubriand, la technique de Lamartine ou Hugo… En musique le prof se contente de tourner le bouton de la radio scolaire mais les émissions nous font découvrir des compositeurs aussi insoupçonnés qu’incroyables, de la Renaissance aux contemporains, des Tchaikovsky, Grieg, Berlioz, Ravel, Debussy, Liszt, Mendelssohn, Brahms, Gershwin… L’origine de mes goûts très éclectiques?

Quels sont tes premiers émois musicaux ? Et comment avais tu accès à la musique à l’époque ?

Je me souviens très bien de la « bande son » de l’époque : en vrac et en boucle (tant pis si j’en oublie!) les Moody blues, Procol Harum, les Aphrodite’s Child, la comédie musicale Hair, Beatles et Stones, Dylan et Cohen, Marvin Gaye, Janis Joplin, Aretha Franklin, Tom Jones, les débuts du Floyd… En langue française Johnny, Polnareff, Joe Dassin, Brel, Hugues Aufray, Françoise Hardy, Marie Laforêt, les voix du Québec Leclerc, Charlebois… Je suis pendu à la radio et je consacre tout mon argent de poche à acheter leurs disques… La plupart du temps au bazar du village pour les tubes et en ville à l’occasion pour les albums. une fois j’ai fait Estissac Troyes à vélo pour acherter le nouvel album des Stones! Je commence à écrire des paroles, à chercher des airs que j’enregistre sur un petit magnéto à cassettes. Mes parents m’offrent une guitare dont j’essaie de tirer des accords pour mes mélodies C’est pas terrible (!)

En 1975, tu fais l’école normale d’instituteurs à Troyes où tu fais la rencontre de Jack. De fil en aiguille, d’atomes crochus en bœuf, un soir de Mai 76, vous enregistrez ce qui sera le seul opus de Célébration. Peux-tu nous raconter cette soirée, et nous délivrer quelques anecdotes ?

Il y a d’abord la période lycéenne avec l’internat ce qui signifie beaucoup d’indépendance. Je suis de plus en plus passionné de poésie et de musique. J’ai découvert Baudelaire, Eluard, Aragon, Vian, approfondi Rimbaud… La découverte de la philo a été une révélation. Pour aller vite, ça a débouché sur un grand intérêt pour le marxisme puis l’anarchisme, la psychanalyse, les sciences de l’éducation…
Musicalement, en 69, il y avait eu la déflagration Woodstock et le mouvement hippie qui me semblait irréversible! Lectures de Kerouac, Ginsberg, Watts, Burroughs, Castaneda, André Gorz, …
Avec la guitare, j’adore chanter Coming into Los Angeles d’Arlo Guthrie (présente dans le film Woodstock), Crosby Stills Nash and Young, Dylan, Cohen et je compose maintenant des chansons que j’ose montrer, la première étant La ballade du glandouilleux (écrite l’été 72), mais comme je trouve que l’anglais sonne mieux, j’ai plutôt envie de créer dans cette langue, ce sera le cas dès 1973 avec des titres comme… Old green village!
Détail d’importance : au cours d’un week end passé au village qui organisait dans une fête une sorte de scène ouverte, avec un pote aux percus on joue Coming into LA, on remporte le concours mais surtout, s’ensuit un coup de foudre avec Claire… qui me fait depuis le grand plaisir de me supporter au quotidien! On est des dinosaures, quoi.
C’est au lycée que j’ai fait la connaissance de Bertrand Côte qui, étant lui aussi interne, faisait ses gammes et répétait des morceaux pour le conservatoire. On aimait improviser dans les couloirs ou dehors au beau temps. Après la terminale on s’est perdus de vue.
C’est lors de ma deuxième année d’Ecole Normale d’Instits que j’ai connu Jacques Godin, un Breton qui faisait un genre de « sport études » et qui chantait surtout des chants de marins ; on a vite fait le boeuf et joué une ou deux fois devant un public. Un jour il a annoncé que son ami Pierre Lozac’h allait venir le voir et c’est alors qu’a germé l’idée d’immortaliser le moment par un enregistrement en rappelant Bertrand Côte et ses flûtes. La suite de l’histoire est racontée sur l’imprimé qui accompagne l’album.
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C’est par le biais de l’association La Taupe que vous pressez le vinyle, via le label Kiosque D’Orphée. Peux tu nous parler un peu de cette association contre-culturelle ?

La Taupe était une sorte de bénédiction dans le marasme troyen dont la boussole était fixée bien sur la droite! Cette asso de contre-culture proposait des concerts fantastiques comme Nico,Tangerine Dream, Can, Magama, etc… organisait la Fête des fous, elle aidait à éditer des fanzines, des affiches… Par contre elle n’avait aucun lien avec le pressage de disques. Comme elle avait un atelier de sérigraphie, c’est là que nous avons imprimé la pochette de l’album. La soie du recto a tenu pour les 500 tirages mais pas le verso! D’où des versos vierges, d’autres écrits à la main, d’autres avec un polycop ou un imprimé collé!
Par contre je ne me souviens pas du pourquoi le pressage au Kiosque d’Orphée? Une pub dans Rock n’ folk? Le conseil d’un pote?

Comment avez-vous distribué le vinyle, vu que c’est le résultat d’une rencontre, et qu’aucun concert ne s’en ait suivi ? Vous n’avez jamais eu la volonté de vous retrouver pour monter sur scène ?

Le temps du pressage et de l’impression des pochettes, on était en fin d’année scolaire, chacun suivit sa route de son côté pour des débuts professionnels dans différentes régions avec ses exemplaires sous le bras. Avec Claire on a monté un duo de « chansons à textes » qui a pas mal tourné dans les milieux écolos, libertaires, mjc, cafés théâtres, les réseaux de l’époque. On proposait le 33 tours qui n’avait rien à voir avec ce qu’on faisait et les gens donnaient ce qu’ils voulaient (en général entre 5 et 10 francs!) Les autres ont dû faire pareil…

En 2013, le label TimeLag records réédite le vinyle. Comment s’est passé ce repressage ? Avez-vous été contacté ?

Le disque est devenu rare au fil du temps. Puis est venu le numérique, disparition du vinyle au profit du miraculeux CD ! Jusqu’à ce que la passion revienne, des années plus tard… mais là je sais que je parle à des convaincus 😉 Je suis contacté plusieurs fois par an par des collectionneurs alors que je n’ai plus que 4 ou 5 exemplaires et je constate sur le net qu’Old green village atteint des prix improbables (une enchère de 893 euros sur ebay!)
Puis on commence à m’appeler pour me dire qu’on veut rééditer l’album devenu intouchable. En creusant je m’aperçois que ce n’est pas sérieux et que le but est plutôt de récupérer à bon compte l’un des derniers originaux! Et puis arrive un mail de Nemo qui, passée la stupéfaction qu’un petit label américain s’intéresse à cet album, me donne confiance et avec qui aura donc lieu le pressage US, assez vite épuisé à son tour lui aussi.
Et, toujours plus improbable, c’est lorsqu’un jour quelqu’un m’envoie le lien vers le site d’un gars qui, amateur de vinyles et de vide-greniers, a fait une BD racontant sa propre histoire dans laquelle il trouve le vinyle chez un brocanteur qui lui en demande… deux euros! Avec un super coup de crayon et un sens du scénario inéniable. C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de Yannick et ses « Scories dans la brume ».
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Dans nos échanges, tu m’as dit avoir été contacté par de nombreuses personnes, qui sous couvert d’une volonté de rééditer le disque à partir du disque originel, souhaitaient surtout recevoir un exemplaire. Ça te fait quoi de voir qu’aujourd’hui ce disque est une pièce de collection estimée à plusieurs centaines d’euros ?

C’est plutôt délirant. Je ne suis pas collectionneur de vinyles donc j’ai du mal à comprendre. Il m’arrive bien sûr de toujours en écouter car le contact du diamant et du sillon est une expérience incomparable. Le problème est que les prix atteints m’ont rendu un peu parano! Ces dernières années les contacts ont été de plus en plus fréquents et j’ai carrément fermé les conversations, ce qui m’a fait regretter un projet sérieux de compile qui a réellement abouti et où le titre old green village aurait eu sa place.

As-tu des nouvelles de tes anciens comparses ?

Non, je sais juste que Jacques est artiste peintre en Bretagne et Bertrand prof de flûte et concertiste dans l’Aisne. Ce serait marrant de se retrouver pour jouer l’album en live dans deux ans, pour les 50 ans de son enregistrement! Perso je serais partant…

A l’époque, un autre groupe aubois tournait dans les cercles folk troyens, les Fableurs, certes plus trad. Les connaissais- tu ?

Non, ça ne me dit rien. En fait les deux « trad » du groupe étaient Jacques et Pierre.

Il se passe 4 ans entre cette folle nuit de Mai 76 et ton second essai discographique, avec Claire. Où en étais tu de la musique pendant ce temps ?

Avec Claire on chantait des compos engagées, à tour de rôle ou en duo. On a été, entre autres, invités sur pratiquement tous les futurs sites de centrales nucléaires…
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On en arrive donc à ce 45 tours, sortis également sur le Kiosque D’Orphée, La Polka Du Nucléaire. Peux tu nous parler un peu de la genèse de ce 45t ?

C’est simple : A force de chanter ce titre, un collectif de groupes ou mouvements a proposé une édition coopérative d’un 45 tours. Il s’est passé je crois, la même chose à Golfech. Quand s’est posée la question du pressage, j’avais déjà l’adresse! Plus tard, en 82, nous avons publié Claire et moi une cassette contenant une sélection de compos enregistrées au studio Manoir et que nous avons diffusée à la fin de nos concerts : Spleen.
Au cours d’une tournée dans le sud ouest nous avons eu le plaisir de faire la connaissance d’anarchistes « historiques » dont Maurice Laisant, fondateur du journal Le libertaire.

Tu m’as dit avoir participé au rassemblement du Larzac en 82′. Forcément, tu dois avoir des souvenirs de cette époque. Quelques anecdotes ?

C’était l’été 1981 : grosse fête pour le départ des militaires ! On était arrivés la veille et on était hébergés dans la « maison de paille ». Quand on est montés sur la scène qui dominait le cirque naturel, après un groupe dont je ne me souviens plus du nom et avant Gilles Servat, on a découvert dix mille personnes en bas et sur les hauteurs! Impressionnant… Récemment J Bové est venu à Utopia pour la présentation du film « Une affaire de principe » qui parle de son action contre le lobbying au Parlement européen. Nous avons évoqué ce moment avec lui.
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Je vais m’écarter un temps de la musique. Tu m’as raconté avoir participé avec Claire à des émissions sur Radio Aube & Seine (Radio auboise) sur l’écologie libertaire. Forcément cela résonne avec les thématiques d’aujourd’hui ! Ton regard sur l’évolution du monde ?

Oui, on y animait une émission hebdomadaire. Nous étions aussi souvent invités sur Radio Libertaire à Paris. Je vais répondre à ta question par un extrait d’une de mes « Parodies zé chansons » :

« La liberté, très vite on l’a bradée
Ou laissée au rancart.
Contusionnée,
Elle est défigurée,
Tombée de son brancard.
Quand le tout-digital
Nous l’a mis dans l’trou d’balle,
On l’a bien laissé faire,
Aveuglés de mirages,
Abusés par des mages
Et vogue la galère.

Data, fliquage,
Reconnaissance faciale,
C’est grâce au digital.
Discrimination et crédit social,
Oh comme c’est génial.
etc…

Aujourd’hui tu jongles entre deux casquettes, l’une pour le jeune public, et l’autre plus sarcastique, Parodies zé chansons. Finalement la musique ne t’as jamais quitté ?

Avant de quitter l’enseignement j’avais testé mes premières compos « jeune public » dans ma classe, dans l’école, dans des centres de loisirs… Et puis j’ai décidé de les promener un peu partout avec ma guitare. J’adore jouer devant un public familial, intergénérationnel. J’encourage à aller écouter la playlist pour découvrir quelques titres et avoir envie d’écouter les autres en live!
https://www.youtube.com/@pascalgenneretjeunepublic9607/playlists

Les projets pour l’avenir ?

Continuer le plus longtemps possible! Avoir assez de temps pour à la fois tourner avec les deux casquettes mais aussi mettre en mots et en musique les idées et les mélodies qui me visitent dans de nouvelles créations. Du temps pour en enregistrer aussi!

Le dernier mot, c’est pour toi !

Alors le dernier mot serait pour remercier la Vie de m’avoir offert ce chemin que j’ai la chance de suivre chaque jour avec ma compagne, d’habiter ce magnifique Pays d’Othe où nous sommes revenus, d’être en contact quasi permanent avec notre fille fabuleuse et son amoureux fou. Quelle chance!
Je termine par un extrait de « Eclats d’utopie », un des titres de Spleen :
« Nos mots semés aux vents de cs nuits océanes
Les visiteront-ils les fleurs aux yeux rougis? »

Merci à Pascal pour le temps accordé!

Année : 1976
Label : Kiosque D’Orphée
Référence : KO/76.0515
Format : LP

Musiciens :
Bertrand Côte – Flûtes
Pierre Lozac’h – Guitare, Banjo
Jacques Godin – Guitare, Banjo, Dulcimer, Autoharp, Chants
Pascal Genneret – Guitare, Chants

Tracklist :
Face A :

A1 El Passaparla
A2 Old Green Village
A3 Victory Rag
A4 What Shall We Do With A Drunken Sailor ?
A5 Black Berry Fugue
A6 Vietnam In Africa
Face B :
B1 Shady Grove Ando
B2 Banks Of Ohio
B3 If Destruction Is Solution
B4 Salt Creek
B5 La Chouille Des Fumeroles « We Shall Not To Be Moved »

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